L’accord de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur (Argentine, Brésil, Bolivie, Paraguay et Uruguay) a été signé en 2019 après deux décennies de négociations par Jean-Claude Juncker, le Président de la Commission européenne à l’époque. Juncker a été un acteur clé dans la finalisation des négociations, affirmant que cet accord représentait « le plus grand accord commercial » jamais conclu par l’UE. Le flambeau est aujourd’hui tenu par l’allemande Ursula von der Leyen, Présidente réélue il y a peu.
Cet accord a pour objectif de créer une vaste zone de libre-échange englobant plus de 780 millions de personnes. Il prévoit la suppression de 91 % des droits de douane sur les exportations de l’UE vers le Mercosur et la réduction de 92 % des droits de douane appliqués par l’UE sur les produits du Mercosur.
Cependant, ce traité suscite aujourd’hui de vives inquiétudes, notamment en France, où les agriculteurs et beaucoup de français(es) redoutent une concurrence accrue de produits sud-américains de moindre qualité et aux normes environnementales et sanitaires moins strictes. Des manifestations ont eu lieu pour protester contre l’impact potentiel sur l’agriculture locale et européenne capable de fournir d’excellents produits et en quantité suffisante pour les citoyens de la zone euro.
A ce propos, l’économiste Marc Touati a exprimé des préoccupations plus larges concernant cet accord. Lors d’une intervention sur CNEWS le 19 novembre 2024, il a déclaré : « C’est peut-être le début de la fin de la zone euro », soulignant que les tensions économiques et sociales engendrées par de tels accords pourraient fragiliser la cohésion de la zone euro.
Les tensions croissantes au sein de l’économie européenne
La déclaration de Marc Touati sur la potentielle « fin de la zone euro » indique que l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur agit comme un catalyseur révélant des failles structurelles dans l’économie européenne.
Ces dernières années, les signes d’une détérioration économique se sont multipliés, avec des indicateurs alarmants tels que le nombre record de faillites d’entreprises en France, atteignant 64 650, sur une période de 12 mois selon la Banque de France. Ce chiffre, supérieur de 1,1 % au précédent pic de 2015, est symptomatique d’une fragilité économique qui dépasse largement les simples corrections post-pandémiques.
Cette recrudescence de faillites n’épargne aucun secteur : construction (+31 %), commerce (+28 %), transport (+40 %) et immobilier (+61 %).
La situation dans l’agriculture est particulièrement critique, exacerbée par des coûts de production croissants et des normes environnementales trop strictes et souvent superflues, lesquelles rendent les produits européens moins compétitifs face à ceux importés de pays du Mercosur.
Le rôle de Mercosur dans les tensions agricoles
L’accord Mercosur intensifie les craintes des agriculteurs européens. Avec des réductions de droits de douane prévues, notamment 91 % pour les exportations européennes vers le Mercosur et 92 % pour les importations en provenance de cette région, l’équilibre des échanges semble pencher en faveur de l’Amérique latine. Des produits comme le bœuf, où les normes de production sont nettement moins strictes, risquent d’inonder les marchés européens, mettant en péril des filières déjà fragiles.
Rappelons nous, en France, l’agriculture représentait 5 % du PIB dans les années 1980, mais ne pèse plus que 1,5 % aujourd’hui. Loin d’être une simple question d’ajustement de marché, cette situation est le reflet de décennies de choix politiques favorisant d’autres secteurs économiques au détriment des exploitants agricoles. Les conséquences se traduisent non seulement par des difficultés économiques, mais également par une crise humaine marquée par un taux de suicide alarmant parmi les agriculteurs.
Déséquilibre entre administration et agriculture
Une autre statistique illustre de manière saisissante le bouleversement des priorités économiques et sociales en France : en 1980, un fonctionnaire correspondait à 66 agriculteurs. En 2024, ce ratio s’effondre à 1 fonctionnaire pour 11 agriculteurs. En seulement 40 ans, le pays a vu sa population agricole diminuer de 66 %, tandis que le nombre de fonctionnaires a doublé. Alors, l’État a-t-il délaissé les piliers historiques de son économie au profit d’une bureaucratie de plus en plus envahissante ?
Cette explosion administrative s’accompagne d’une prolifération de normes souvent critiquées pour leur complexité et leur caractère contraignant. En agriculture, les exploitants doivent désormais naviguer parmi des exigences environnementales et sanitaires toujours plus strictes, souvent imposées par des individus éloignés des réalités du terrain. Ces normes, bien qu’en partie justifiées par des préoccupations légitimes, sont devenues un véritable casse-tête, aggravé par un système où ceux qui les conçoivent sont aussi ceux qui les contrôlent. Cette dynamique alimente un sentiment d’asphyxie chez les agriculteurs, qui se voient contraints de consacrer une part croissante de leur temps à satisfaire des obligations administratives au détriment de leur production.
Soutenir les créateurs de richesse et les garants de l’autonomie alimentaire semble être passé au second plan, tandis qu’une administration en pleine expansion renforce un carcan bureaucratique qui fragilise encore davantage un secteur déjà en déclin.
Les risques pour la cohésion de la zone euro
Au-delà des impacts agricoles, les tensions autour de Mercosur amplifient des fractures déjà présentes au sein de la zone euro. Depuis sa création, cette dernière repose sur des critères financiers stricts, tels qu’un déficit public inférieur à 3 % du PIB et une dette publique sous les 60 %. Cependant, seuls neuf pays, dont l’Allemagne, l’Autriche et les Pays-Bas, respectent encore ces règles. Des écarts flagrants entre les États membres, notamment entre les pays du nord et ceux du sud, alimentent les ressentiments et sapent la stabilité de l’union monétaire.
La France, avec un déficit attendu à 6 % pour 2024 et une dette publique bien au-delà des normes acceptées, est le parfait exemple de l’incapacité collective à respecter ces engagements. Cette divergence budgétaire génère évidemment des tensions entre États membres, certains reprochant à d’autres de profiter de la stabilité offerte par la Banque centrale européenne (BCE) sans prendre les mesures nécessaires pour assainir leurs finances publiques.
Vers une crise de confiance dans l’euro ?
La fragilité de l’euro face aux grandes devises internationales, comme le dollar ou le franc suisse, n’est pas une utopie et reflète cette crise de confiance croissante.
Depuis 2024, l’euro a vu sa valeur baisser, atteignant des niveaux inquiétants contre des devises considérées comme refuges. Cette tendance s’explique par une combinaison de facteurs : ralentissement économique, absence de convergence budgétaire, et manque de leadership au sein de la zone euro.
En parallèle, la montée d’un véritable sentiment europhobe dans de nombreux pays de la zone euro renforce les interrogations sur l’avenir de l’union monétaire. Sans une réforme structurelle profonde, incluant notamment un budget fédéral pour amortir les chocs économiques asymétriques, l’euro risque de perdre davantage de crédibilité sur la scène internationale.
Si les divergences économiques persistent, le scénario d’une restructuration de la zone euro devient plausible. Dans cette hypothèse, seuls les pays respectant les critères budgétaires pourraient former une « zone euro premium », tandis que d’autres retourneraient à leur devise nationale. Un tel éclatement serait toutefois coûteux : augmentation des taux d’intérêt sur les dettes publiques, retour des contrôles de change, et effondrement des échanges commerciaux au sein de l’UE. Et sans union monétaire, point d’union européenne.
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