INTERVIEW. L’argent, devenu l’une des principales préoccupations des Français, demeure un sujet tabou. Ce rapport embarrassant aux finances constitue un véritable frein à l’indépendance économique et financière. Famille, écoles, banques… Qui doit alors s’occuper de l’éducation financière des jeunes ? Christian Junod, expert de la relation à l’argent en francophonie, nous donne son point de vue.
De tout temps, l’argent est autant objet de fascination que d’angoisse. Cette ressource indispensable est souvent source de stress, mais est aussi associé à l’indépendance, la liberté, la réussite, au plaisir et au confort. Pourtant, parler d’argent en famille ou dans le couple n’est pas chose aisée. Ce tabou entrave l’indépendance économique et financière des plus fragiles, dont les jeunes et les femmes. Selon une enquête Ifop sur les femmes et l’argent menée pour ViveS et La Financière de l’Échiquier, elles ne sont d’ailleurs que 18 % à en parler ouvertement avec leurs enfants, 15 % avec leurs parents, et 12 % avec leur entourage amical. Cette forme d’omerta participe à un important manque d’éducation financière, qui pénalise l’ensemble des Français.
Éducation financière : un manque de connaissance qui coûte cher !
Taux d’intérêt, inflation, budgétisation, risques et rendements associés aux investissements…. D’après une récente enquête menée par Allianz dans différents pays que sont l’Allemagne, l’Australie, l’Espagne, les États-Unis, la France, l’Italie et le Royaume-Uni, le niveau de compétence financière des populations est assez bas. Le manque à gagner représente plusieurs milliers d’euros par an.
Une éducation financière globalement faible
Selon l’étude, seuls 10 à 18 % des personnes interrogées possèdent un niveau de culture financière élevé. Les disparités entre les pays et les genres sont toutefois grandes. Si l’Italie arrive en tête (18 %), les États-Unis et la France sont en bas du classement (10 %).
En revanche, la part des participants manquant de culture financière est bien plus importante :
- 20 % en Espagne
- 26 % en France (29 % de femmes et 22 % d’hommes)
- 32 % aux États-Unis
Par ailleurs, 66 % des sondés estiment avoir moins de connaissances sur les marchés financiers et l’investissement qu’un investisseur moyen. Au vu du contexte inflationniste actuel, ce déficit d’éducation financière constitue une double peine pour les épargnants.
Une éducation financière limitée fait perdre 2 390 € par an !
D’après les calculs d’Allianz, qui a souhaité évaluer les bénéfices financiers d’une solide culture financière, l’absence de culture financière coûte cher. L’estimation découle de la création de portefeuilles types idéaux, en fonction du niveau de compétence financière, chiffrant les rendements réels passés pour chaque pays étudié.
Résultat, en France, une personne présentant des connaissances limitées en matière de finance passerait à côté d’environ 2 390 euros par an, comparé à une personne ayant une éducation financière moyenne. Sur 10 ans, cela reviendrait à 39 270 euros, par rapport à des ménages dotés de compétences financières fondamentales.
Quant aux épargnants français bénéficiant d’une solide culture financière, ils pourraient espérer générer 2 730 euros de plus par an, qu’une personne dépourvue de culture financière. Soit quasiment le salaire mensuel moyen en France. Sur 30 ans, le chiffre donne le tournis : 243 959 euros !
Comme l’explique Ludovic Subran, économiste en chef du groupe Allianz, « un niveau de culture financière trop faible peut avoir des conséquences sérieuses. En effet, sur des périodes d’investissement prolongées, à l’instar de la préparation à la retraite, ce manque de connaissances peut fortement influencer les choix financiers des ménages. » Néanmoins, pointe-t-il, « rien n’est irrémédiable : en acquérant des bases solides, chacun peut développer un niveau de connaissance suffisant pour optimiser sa gestion financière ». Oui, mais comment former des citoyens capables de gérer leur budget, jauger leur valeur sur le marché du travail ou encore investir avec discernement ? Et qui doit s’en charger ?
Éducation financière : quand doit-elle commencer et où ?
La culture financière est-elle une responsabilité personnelle, familiale, scolaire ou institutionnelle ?
L’éducation financière doit d’abord être inculquée par les parents
Comme le révèle l’étude, la culture financière s’accroit avec l’âge. Les baby-boomers sont généralement plus compétents que les générations Z et Y. L’éducation financière devrait être faite de génération en génération, dans le cercle familial avant tout. « Le rapport qu’à une famille à l’argent détermine l’image que vont s’en faire les enfants et leur manière de l’appréhender », nous indique Christian Junod, expert de la relation à l’argent en francophonie. « Craintes, croyances limitantes… Nous avons tous une relation à l’argent spécifique et unique, en fonction de notre vécu, de notre histoire familiale et de notre parcours. Elle influence bien plus notre vie que nous ne l’imaginons et a d’ailleurs un lien avec l’amour de soi », assure le conférencier. « Intérêt, sens… L’objectif est donc de rendre l’argent moins tabou, en le remettant à sa juste place, dès le plus jeune âge, et dans le cercle familial. » La question de l’argent de poche peut par exemple être l’occasion d’un premier éveil aux responsabilités financières. Car, comme l’affirme une récente étude de la Fédération bancaire française, les petits consommateurs effectuent leur premier achat en magasin vers 9 ans, avec leurs étrennes (75 %) ou l’argent de poche provenant des parents (46 %). Ils effectuent en moyenne 2 achats par mois, pour :
- Des bonbons : 37 %
- Des jouets : 33 %
- Des jeux vidéo : 31 %
- Des livres : 30 %
- Des vêtements : 29%
Lorsqu’ils perçoivent de l’argent :
- 50 % des enfants le mettent de côté
- 47 % le dépensent
- 3 % le partagent avec d’autres
Ainsi, « il est en premier lieu important d’expliquer aux enfants à quoi sert l’argent, comment on le gagne et pourquoi on en possède ou pas. Les parents doivent leur apprendre à prioriser leurs achats, tenir leurs comptes ou gérer leur argent de poche afin de les responsabiliser et de leur donner confiance en eux », note l’expert. Faute d’un apprentissage progressif, les jeunes consommateurs peuvent rapidement être dépassés dès lors qu’ils prennent leur envol. « Il est primordial de leur donner des outils, pour qu’ils ne partent pas de zéro. Afin de leur apporter une meilleure compréhension dès la préadolescence, les parents peuvent décortiquer avec eux de manière ludique « le fonctionnement du budget familial avec les charges fixes (fixes (loyer, impôts) et les charges variables (courses, loisirs, cadeaux…) », sous forme de jeu.
Éducation financière : l’école et les banques ont-elles un rôle à jouer ?
Si dans les faits, ce n’est pas encore réellement le cas, « le système scolaire devrait aussi pouvoir prendre le relais, mais à quel niveau ? », questionne l’auteur du livre Le défi des 100 jours pour libérer son rapport à l’argent et vivre son abondance. L’école a aussi son rôle à jouer, pour former les citoyens de demain, en apprenant aux enfants à quoi servent un compte et une carte bancaire, ce qu’est un crédit, un livret d’épargne, un taux d’intérêt, une action…
Les banques ont également leur part de responsabilité dans le manque d’éducation financière des consommateurs. Elles proposent de multiples comptes et livrets bancaires dédiés aux jeunes et aux enfants, sans pour autant les accompagner réellement. Selon l’expert, « les institutions financières ne sont pas suffisamment neutres, car elles y voient leurs intérêts et n’inspirent pas toujours confiance ».
Pour y remédier, la Fédération bancaire française (FBF) a lancé l’opération « J ’invite 1 banquier(e) dans ma classe ». Cette initiative, qui en est déjà à sa 8e édition a « pour but de sensibiliser les élèves des classes de CM1-CM2 aux concepts de moyens de paiement, budget, pratiques d’achat, épargne, sécurité, grâce à des ateliers ludo-pédagogiques », précise la FBF. « Le professeur anime l’atelier à l’aide d’un jeu de plateau et avec l’intervention d’un banquier, qui répond aux questions des enfants. Près de 80 000 élèves ont déjà été sensibilisés.
L’autonomie financière peut enfin s’acquérir de manière personnelle, via des vidéos pédagogiques en ligne, créées par des institutions, ou des sites spécialisés, comme ComparateurBanque.com.