INTERVIEW. Auparavant, un conseiller bancaire suivait ses clients durant des années. Désormais, la rotation de ces experts financiers explose. Un ancien conseiller et une directrice d’agence bancaire nous exposent leur point de vue sur ce véritable fléau.
« La banque d’hier n’est plus celle d’aujourd’hui. » Voici ce que nous confie Émilie*, directrice au sein d’une agence de la Caisse d’Epargne. Crédit immobilier, financement des études des enfants, achat de camping-car… Si autrefois, un conseiller bancaire accompagnait les projets de vie de sa clientèle des années durant, dorénavant, ce n’est plus le cas. Avec l’avènement des banques en ligne et autres néobanques, le secteur est devenu très concurrentiel. Le changement de banquier est à présent commun, lorsque les clients ont encore l’opportunité d’en avoir un attitré. Le conseil fait-il encore réellement partie du travail des conseillers bancaires ?
Conseillers bancaires : leur rotation explose
D’après les dernières données de l’Association française des banques (AFB), publiés en juillet 2023, la rotation des conseillers bancaires a atteint 10,2 % en 2022, contre 7,6 % en 2021. Quant aux démissions, elles bondissent : 8 400 ont été comptabilisés.
La relation bancaire dans la tourmente
En raison d’un turn over conséquent et des fermetures massives des agences bancaires physiques (- 3 750, soit – 9 % entre 2010 et 2020), le secteur de la relation bancaire est dans la tourmente.
En effet, l’image du banquier s’est écornée. Les clients, qui ont l’impression que le suivi clientèle s’est dégradé, sont plus volatiles. Grâce à la loi Macron, qui facilite les démarches administratives et la mobilité bancaire, ils n’hésitent plus à se tourner vers d’autres banques, physiques ou en ligne. « Depuis son entrée en vigueur, un client peut très facilement faire racheter ses prêts par un autre établissement, résilier ses divers contrats d’assurance (auto, habitation…) en un mois, ou encore changer de banque. Et cela, sans devoir se préoccuper des démarches administratives, qui sont prises en charge par les nouveaux acteurs », nous rappelle Émilie, qui travaille au sein du groupe Caisse d’Epargne, depuis 2005. Or, « si la satisfaction client est au cœur du métier », la confiance entre clients et conseillers n’est plus au beau fixe.
Conseiller bancaire : le métier ne fait plus rêver
Difficultés de recrutement, burn out, démission à foison… Pour de nombreux conseillers, stress et désillusion ont eu raison de leur engouement.
Selon l’AFB, 350 400 salariés travaillaient dans la banque en 2021. En 2012, ils étaient 30 000 de plus. La perte s’élève donc à 10 % en 10 ans, malgré un recrutement de 40 000 personnes par an. Problème, elles repartent souvent rapidement.
Frédéric*, 30 ans, ancien conseiller financier à la Banque Postale, fait partie des démissionnaires. Après 5 ans dans le secteur, ce dernier souhaitait se rapprocher de chez lui, mais son employeur ne lui a proposé aucune solution. Si le conseil clientèle et les placements financiers lui plaisaient, la gestion de ses 3000 clients et la pression managériale l’ont aussi poussé vers la sortie et vers une possible reconversion professionnelle.
Conseillers bancaires : un métier à haut stress
En raison de la diminution des services, la pression envers les conseillers bancaires s’accroît.
Conseillers bancaires : « Des objectifs toujours plus importants et stressants »
Alors que chaque année, le secteur bancaire perd en moyenne 1 % de ses effectifs, de nombreux départs ne sont pas remplacés. Ainsi, « la pression managériale est de plus en plus forte », déplore Frédéric. Selon une étude de la Dares menée en 2020, les employés et techniciens des banques et des assurances font partie des catégories d’emplois les plus stressées. Résultat, comme l’indique une étude de la société Upside – Rapport 2022 du burn-out dans le secteur bancaire –, 86 % des banquiers ont été forcés de prendre des congés à cause du stress. 72 % des salariés envisagent par ailleurs de quitter le secteur pour éviter un burn-out.
« Les postes informatiques sont à la fois un outil de travail et également un outil de suivi par les supérieurs hiérarchiques. On est surveillé jusqu’au nombre de ventes, nombre d’appels, de temps de connexion sur une session. Et ce, tous les jours », nous révèle l’ancien conseiller.
« En effet, les conseillers financiers ont des objectifs annuels divers à remplir :
- Objectifs de qualité
- Satisfaction client
- Taux de décroché téléphonique pour être joignable à tout moment
- Critères de réponse à la demande
- Enquête de satisfaction après chaque rendez-vous par mail ou téléphone…
Ils sont ensuite renvoyés au mois et à la semaine pour qu’ils soient atteignables », énumère Émilie, directrice d’une agence de la Caisse d’Épargne.
Rotation des conseillers bancaires : un contexte également naturel
« Le turn over des conseillers s’explique aussi par un contexte naturel. Il y a en effet une forte population de femmes en banque, et donc des congés maternité, ainsi que des évolutions professionnelles ou personnelles (déménagement, départ à la concurrence, etc.), note-t-elle. « La modification des portefeuilles clients est aussi opérée par les supérieurs hiérarchiques », ajoute Frédéric, l’ex-conseiller financier au sein de La Banque Postale. « Cette politique est mise en place pour éviter toute dérive, ‘capitalisme de connivence’ et autre favoritisme », détaille Émilie.
« Aujourd’hui, à la Caisse d’Épargne, nous essayons de faire en sorte qu’un portefeuille client soit tenu au moins 3 ans. Au-delà, les conseillers visent souvent une évolution professionnelle. L’objectif est de rester tourné vers le client », assure-t-elle.
Conseillers bancaires : des tâches administratives plus lourdes
« Le métier, les conditions ainsi que la consommation des clients ont évolué. Auparavant, ils s’adressaient à l’accueil, et le message était transmis à leur conseiller », rappelle-t-elle. Tout étant désormais dématérialisé, la grande majorité des opérations bancaires peuvent se réaliser à distance, via les applis bancaires ou les sites. Cela donne de ce fait un certain avantage aux banques en ligne, souvent moins onéreuses. Pour le reste, les conseillers sont joignables par différents canaux (téléphone, email…). « Lorsque nous sommes en rendez-vous client, nous pouvons recevoir 5 appels en même temps. Quant à la charge de travail, elle a bondi. Les tâches administratives sont beaucoup plus lourdes et conséquentes et la règlementation est en constante évolution. Tout cela apeure les nouveaux arrivants, qui repartent aussitôt », décrypte la manager.
Le jugement constant des clients, qui affichent leur mécontentement via des avis en ligne ou en direct, et la surveillance hiérarchique pèsent lourd sur le moral des conseillers bancaires.
Pour autant, Émilie estime qu’elle « exerce un beau métier : nous rentrons dans l’intimité des gens et dans leurs divers projets. Même si, parfois, j’ai besoin de couper le soir, car je suis fatiguée moralement, je ne veux pas être défaitiste. La Caisse d’Épargne est une belle entreprise, qui nous permet d’évoluer dans de belles conditions (sécurité de l’emploi et congés avantageux) », admet-elle.
*Les conseillers souhaitant garder l’anonymat, leur prénom a été modifié