La prolongation du bouclier tarifaire sur l’énergie, annoncée par le gouvernement le 14 septembre dernier, offre l’occasion de s’interroger sur l’origine et l’utilité des aides de l’État. Quel est le prix de la gratuité de ces aides ? L’économiste et essayiste Philippe Herlin a travaillé sur ces sujets et notamment sur la face cachée de la transition énergétique. Il a répondu à nos questions pour mieux comprendre l’effet de ces aides sur l’évolution de notre pouvoir d’achat et y apporter un regard alternatif.
M. Herlin, Quelles sont vos connaissances sur la crise de l’énergie ?
“Je travaille sur le problème de l’énergie depuis bien longtemps et avant la crise que nous traversons (voir son étude sur la transition énergétique). Je montrais déjà que c’était quelque chose de catastrophique qui amènerait à l’explosion des prix et à des pénuries. La guerre en Ukraine est une exacerbation de la tendance initiale. Sans cette crise les problèmes actuels liés à l’énergie auraient tout de même émergé, mais certainement de manière moins importante. Je dénonce cette transition énergétique qui se fait à marche forcée. On nous l’impose.”
Ainsi, nous confirmons que Philippe Herlin a son mot à dire sur la question. Il est considéré comme un expert reconnu dans le domaine. Son étude sur la « Cancel Economy« , qui répond à la question « Pourquoi la transition énergétique est une catastrophe économique », apporte un regard divergent et complémentaire au narratif traditionnel que l’on retrouve dans les médias classiques.
Ces aides sont-elles des solutions pérennes face à l’inflation ?
Ici, nous parlons des aides que l’on retrouve dans les mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat des Français : bouclier tarifaire, remise carburant, aides exceptionnelles … Ces aides limitées sont-elles une solution pérenne ?
“Bien sûr que non. Si on parle par exemple de la prolongation du bouclier tarifaire, cela ne serait pas une solution”, répond l’économiste.
Que penser du chèque énergie et du bouclier tarifaire financés par nos impôts ?
Gabriel Attal, ministre chargé des comptes publics a affirmé, après l’annonce de la prolongation du bouclier tarifaire que celui-ci permettra de « bloquer la hausse des factures de gaz et d’électricité à 15% au lieu de 120% ».
Pour Philippe Herlin, “le bouclier tarifaire a une efficacité concrète. L’électricité en France n’a augmenté que de quelques pourcents en 2022. Ce qui aurait dû être beaucoup plus important. Cependant cela coûte extrêmement cher à la France. Selon Bercy, cela a coûté 24 milliards d’euros au minimum. On y ajoute 8 milliards d’euros car l’État a demandé à EDF d’augmenter ses ventes d’électricité aux revendeurs et cela à prix cassé. EDF appartient maintenant en quasi-totalité à l’Etat. C’est donc une perte pour les comptes publics.
Le problème étant que cela ne règle aucunement les causes de la hausse des prix. On fait exploser la dette sans résoudre le problème de fond. »
Sur une vision de plus long terme, il considère que « le bouclier tarifaire protégera moins en 2023. Si la guerre en Ukraine s’arrête il pourra y avoir une détente sur les prix malgré les sanctions imposées. Mais on ne va pas racheter du gaz à la Russie… Et sachant que les autres exportateurs sont généralement beaucoup plus chers.”
Finalement, l’économiste dénonce un processus « d’explosion de la dette sans résoudre le problème de fond. »
Que penser des sanctions imposées à la Russie ?
Nous faisons ici référence à une interview de Marc Touati sur Boursorama. Cet échange entre l’économiste, expert en finance, et le journaliste permet de comprendre les mécanismes cachés. Pour simplifier les choses, disons qu’au final la France achète du gaz à l’Inde qui l’achète elle-même à la Russie.
Philippe Herlin confirme que “Concernant les sanctions, nous sommes plus perdants que la Russie. La Russie a une baisse temporaire de ses ventes mais à moyen-long terme, elle peut trouver d’autres clients comme l’Inde et la Chine avec la construction d’un gazoduc.
Nous n’avons pour l’heure pas de solution de secours. Au niveau mondial la production d’énergie fossile est tendue face à la demande. De plus, on observe à l’échelle mondiale une tendance à la diminution consacrée à la recherche et l’exploitation de gisement fossile. La production stagne. L’Europe décide d’arrêter ses achats russes pour acheter l’équivalent ailleurs. C’est très compliqué, il n’y a pas d’offre. On achète du gaz naturel liquéfié américain qui dépense bien trop d’énergie car on le transporte liquide et on le remet à l’état gazeux ensuite. On achète aussi du gaz au Qatar qui ne nous fait pas de cadeau sur les prix puisqu’ils ont suffisamment de clients.
L’Azerbaïdjan, qui est en train d’attaquer l’Arménie, nous vend aussi du gaz. Pourtant, ici cela ne pose aucun souci à la France, concernant les crimes envers l’Arménie. Sans parler du gaz acheté à l’Arabie Saoudite qui mène une guerre au Yémen ayant fait de nombreux morts. »
Selon lui, il y aurait donc deux poids, deux mesures. Pourquoi donc la majorité des sanctions économiques de l’Union Européenne sont tournées vers la Russie ? Nous posons cette question d’une manière innocente. Sans pour autant prendre part dans ces conflits politiques.
Philippe Herlin rajoute : « aussi, l’Europe a suffisamment d’argent pour payer mais des pays pauvres comme le Pakistan ne peuvent pas s’aligner sur les prix : ils sont contraints de diminuer leurs achats, il y a des coupures récurrentes. En se privant du gaz russe on en achète ailleurs et beaucoup plus cher et dans des quantités insuffisantes : il y a des risques de pénurie.”
Le gouvernement Borne a clairement expliqué, depuis le mois de septembre, que nous devons désormais vivre différemment (Appliquer un comportement responsable menant à une sobriété énergétique). Selon le gouvernement, cet hiver sera différent en France avec de probables restrictions d’énergie et des changements à opérer dans nos habitudes individuelles : météo de l’énergie sur TF1 et France Télévision, nouvelle prime pour ceux qui se chauffent au bois, réduction pour ceux qui vont réduire leur consommation…
Le bouclier tarifaire ne concerne que les particuliers. Qu’en est-il des entreprises ?
« L’État a promis des aides pour les entreprises : 300 entreprises se sont fait connaître comme étant en difficulté financière selon Bercy. Un appui financier existe. Cependant, il y en a certainement bien plus, ce chiffre semble dérisoire. Très peu d’activités économiques ne vont pas être impactées fortement. C’est le cas de sociétés mettant leurs travailleurs en chômage partiel comme Duralex. Elles ne peuvent et ne pourront pas soutenir la facture énergétique qui explose. «
Finalement, comment sont financées ces aides de l’État ?
« Le fonctionnement est simple : il passe par la dette car ce sont des dépenses de l’État qui alimentent le déficit, sachant que nous étions déjà en déficit budgétaire depuis 1975. C’est simplement financé par la dette en faisant exploser le déficit !«
Le déficit de la France a déjà été très impacté par la pandémie. La BCE a décidé de faire fonctionner la planche à billets à plein régime pour atténuer temporairement le problème.
Pensez-vous à des solutions alternatives à tout ça ?
« Concernant cette hausse des prix, on ne règle pas du tout les problèmes de fond avec les aides proposées par l’État. Les boucliers vont encore faire exploser la dette sans rien résoudre ; d’autant plus que les entreprises en sont exclues. »
Voici les propositions énoncées par Philippe Herlin :
- « Il faut premièrement sortir du système du marché européen de l’énergie : les prix montent aussi fortement car ils sont indexés sur le prix du gaz. Ce système a été choisi par l’Allemagne, et la France l’a accepté alors qu’elle était désavantagée. Une sortie est envisageable et réalisable ; on a les exemples de l’Espagne et du Portugal qui ont obtenu de Bruxelles la possibilité de déconnecter les prix de l’électricité et le prix du gaz, et ils ont des prix inférieurs pour les particuliers et les entreprises comparé au reste de l’Europe. Il faut donc sortir de cette tarification et rapidement pour que le prix baisse et que le bouclier coute moins cher.
- De plus, il faut supprimer le tarif ARENH, Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique. Il permet à tous les fournisseurs alternatifs de s’approvisionner en électricité auprès d’EDF dans des conditions fixées par les pouvoirs publics. Selon moi, il sert à créer un pseudo-marché concurrentiel en obligeant EDF à vendre le quart de sa production à prix cassé à des revendeurs qui revendent l’électricité à des particuliers et empochent la marge. » Pour imager ce dispositif, imaginons que Renault doive fabriquer des voitures sans logo, les revendre à ses concurrents à prix cassé. Et de leur côté, les autres marques n’ont qu’à ajouter leur logo et encaisser la différence car les prix proposés ne sont pas forcément moins chers.
Il est possible de noter que ce tarif ARENH est transitoire et prendra fin en 2025.
- « Il faudrait aussi arrêter la transition énergétique car elle ne fonctionne pas en l’état. De plus, cela permettrait la réduction des factures d’électricité. En effet, nous payons une taxe de contribution au service public de l’électricité (CSPE), qui sert à financer cette transition.«
L’équilibre énergétique est en effet difficile à trouver. Il ne semble d’ailleurs pas vraiment recherché. La stratégie actuelle est plutôt d’effacer l’ancienne au profit d’une nouvelle qui passe par l’énergie solaire et les éoliennes. Ou encore les voitures thermiques remplacées par les voitures électriques. Cette question de transition énergétique est donc au coeur de notre avenir.
- Enfin, je pense qu’il faut réellement s’interroger sur la mise en exploitation du gaz de schiste que l’on a en France et en Europe. Évidemment, il faudra avant tout réaliser des études pour étudier le risque de pollution des nappes phréatiques. S’il est avéré, il ne faudra pas le faire car c’est une ressource vitale à privilégier. Il serait pour autant judicieux de pouvoir effectuer quelques forages afin d’évaluer le potentiel français, mais une loi prise sous François Hollande rend cela impossible. «
Cette interview peut choquer certains lecteurs. Et pourtant, elle permet justement de se poser des questions qui sont souvent évincées des débats officiels. En effet, le but de cet article n’est pas de prôner une vérité générale mais de présenter une vision des enjeux actuelles autour de l’énergie et des aides gouvernementales, sans prendre parti. Cette citation de Gandhi clôture bien le raisonnement qui a guidé l’écriture de cet article : « La règle d’or est la tolérance mutuelle, car nous ne penserons jamais tous de la même façon, nous ne verrons qu’une partie de la vérité et sous des angles différents ».