Nos dirigeants politiques s’attachent à un dogme qui semble indéboulonnable : le PIB doit augmenter. Tout notre système économique est présenté comme étant dépendant de cette croissance régulière et forte du PIB. Mais est-ce vraiment si important ? Et le PIB est-il le meilleur des indicateurs ? Regardons ce qu’Eloi Laurent, économiste, propose dans son oeuvre au titre éloquent“Sortir de la croissance”.
Aux origines historiques du PIB
Attardons-nous tout d’abord sur le contexte historique de la création de l’indicateur économique qui anime tant de réunions politiques, le PIB !
Le PIB, une création américaine…
Le PIB (Produit Intérieur Brut) a pour objectif de mesurer les richesses produites dans un pays, sur une durée donnée, en général d’un an. Simon Kuznets, économiste américain, crée l’indicateur du PIB, à la demande du Congrès américain, en 1934.
L’objectif des Etats-Unis à l’époque ? Mesurer la production des industries qui avaient le plus souffert lors de la Grande Dépression, au début des années 1930, afin de savoir comment relancer l’économie efficacement.
- Kuznets indiquait lui-même qu’il s’agissait d’un indicateur qui n’était pas adapté à mesurer le bien-être d’une nation, et qu’il ne concernait qu’une partie des aspects économiques…
…qui s’est imposée partout dans le monde !
Avec les accords de Bretton Woods, peu après la Seconde Guerre Mondiale, les Etats-Unis imposent le PIB comme mesure de la puissance des nations.
Et à cette époque, cela a du sens. A la sortie de la guerre, tout est dévasté et les économies européennes doivent être reconstruites, ne fût-ce que pour que la population puisse manger à sa faim et sortir des pénuries de toutes sortes.
Pendant la période de forte croissance économique qui caractérise les Trente Glorieuses, le PIB croît fortement. Les pays européens se constituent en une communauté économique, et le miracle économique semble associé à tous les bienfaits imaginables.
Le PIB est ainsi réellement corrélé à différentes mesures concrètes de la puissance des pays : capacité à innover technologiquement, à construire des armes et à maintenir une armée puissante, à bâtir des infrastructures, etc.
La croissance du PIB ne doit plus être notre seul horizon
Dans son livre “Sortir de la croissance”, l’économiste senior à l’OFCE et professeur à Sciences Po et à Stanford, Eloi Laurent, remet en question la primauté de la croissance du PIB, pour plusieurs raisons fondamentales.
La croissance n’est pas que vertueuse
Tout d’abord, bien que la croissance puisse avoir des avantages, on se rend compte aujourd’hui qu’elle s’accompagne, voire cause, de nombreux problèmes.
C’est en particulier dans le domaine environnemental que la croissance est source d’externalités négatives. Plus on consomme, plus on extrait de matières premières, plus on les transforme et on les transporte, et plus on engendre des pollutions diverses et variées tout au long de la chaîne de valeur !
Cet argument revient à expliquer que le simple fait d’exister et de consommer a un impact sur la planète.
La dé-corrélation de la croissance avec les indicateurs du bien-être
Comme l’indiquait le créateur de l’indicateur du PIB, le bien-être d’une nation ne se mesure pas (que) à son niveau de richesses produites.
En effet, une nation peut très bien être objectivement riche, tout en ayant un niveau d’inégalités important (pensons ici aux pays producteurs de pétrole, qui – pour la plupart – concentrent de manière très forte les richesses). De nombreuses études ont montré que le niveau excessif des inégalités dans une société engendre une litanie de problèmes sociaux.
Par ailleurs, le PIB est un indicateur qui ne mesure que le niveau des richesses produites, sans nous renseigner sur :
- les inégalités dans la société (il faut pour cela s’intéresser à l’indice de Gini, par exemple),
- les conditions de vie des habitants,
- le taux d’emploi,
- la santé des habitants et leur espérance de vie…
Pour ne parler que du taux d’emploi, dont la croissance est en général associée dans l’esprit des gens à la croissance du PIB, Eloi Laurent nous indique que ce n’est pas le cas, dans la zone euro, depuis une vingtaine d’années. En clair, augmenter le PIB, cela n’augmente pas le nombre d’emplois disponibles, malgré tous les discours politiques qui clament le contraire !
D’autres axes d’analyse du bien-être humain sont dé-corrélés, voire négativement impactés, par une croissance du PIB :
- qualité du processus démocratique,
- niveau de corruption,
- temps libre et loisirs,
- isolement des personnes,
- niveau de revenu,
- résilience des entreprises et des institutions,
- qualité de l’éducation et de la formation.
En bref, rien ou presque ne résiste à l’analyse : depuis 10 à 20 ans, le PIB n’est plus le vecteur de la réalisation du bien-être humain, voire s’y oppose !
Cet argument est partiellement vrai mais un peu naïf. On ne nourrit pas une famille avec des pâquerettes et des sourires. Il faut un juste milieu.
Pourquoi donc continuer à le fétichiser ?
La solution ? Sortir du dogme et bâtir de nouveaux indicateurs !
Tout d’abord, il convient de comprendre qu’un indicateur n’est pas qu’un indicateur. Comme le précise Eloi Laurent, un indicateur est aussi normatif, il impose une façon de comprendre le monde. Il nous “pointe” (le mot a la même racine que le mot “doigt”) dans une direction précise.
Choisir le PIB comme indicateur principal pour prendre des décisions de politique publique, c’est donc faire un choix, autre détriment d’autres choix possibles. C’est faire le choix d’augmenter le niveau de la production économique, et de ne se concentrer sur rien d’autre qui pourrait être utile ou désirable.
Il convient d’en prendre conscience, et de décider de choisir d’autres indicateurs, qui pourront mener vers plus d’avantages sociaux concrets pour les habitants. L’imaginaire collectif, et en particulier dans le monde politique, doit substituer le dogme du PIB par de nouveaux récits, plus nuancés et complexes.
Le PIB est un indicateur synthétique, du passé (il date des années 1930), qui ne reflète plus le niveau de complexité de nos sociétés et économies actuelles.
Il est temps de sortir du réductionnisme intellectuel et d’accepter de réfléchir “au-delà de la croissance”, en remplaçant l’indicateur unique du PIB par un tableau de bord de l’état de santé de la société et de l’économie, composé de nombreux indicateurs, reflétant notre réussite économique collective !
De notre côté, nous proposons, non pas de le supprimer mais de l’enrichir avec d’autres facteurs plus proches des citoyens.