La politique économique et financière de l’Union européenne semble évoluer vers une uniformisation croissante des réglementations et des pratiques fiscales à travers les États membres, en réponse aux ambitions d’intégration économique. À cet égard, Maria Luís Albuquerque, future commissaire européenne aux Services financiers, affiche un objectif clair : renforcer l’intégration fiscale et la supervision des institutions financières européennes.
Son projet, défendu lors de son audition par le Parlement européen, consiste notamment à harmoniser la fiscalité des produits financiers et à stimuler l’union des marchés de capitaux, ambition bloquée depuis près de quinze ans.
Cependant, comme le souligne l’essayiste Tom Benoit dans un récent post sur X.com, cette démarche en cours fait face à de fortes résistances. En effet, certains pays, comme le Luxembourg et l’Irlande, réputés pour leur attractivité financière et leurs fiscalités avantageuses, émettent des réserves quant à une convergence fiscale qui pourrait diluer leurs modèles économiques. Leur inquiétude est fondée, car l’alignement fiscal pourrait affaiblir l’attractivité de ces pays vis-à-vis des capitaux étrangers et des multinationales, transformant l’Europe en un espace où les particularismes nationaux perdent de leur pouvoir d’attraction.
D’autant plus que ces deux pays sont les dernières enclaves européennes à pouvoir encore accueillir des entreprises cherchant à optimiser leurs coûts fiscaux et à bénéficier de régulations plus souples que dans le reste de l’Union. Le Luxembourg et l’Irlande, grâce à leur fiscalité allégée et leurs infrastructures financières bien établies, représentent des destinations privilégiées pour les multinationales qui veulent minimiser leurs charges tout en restant dans l’espace européen. Ces deux États offrent un cadre réglementaire et fiscal attractif pour les groupes internationaux, permettant à ces derniers de profiter d’avantages fiscaux significatifs qui sont difficilement accessibles dans d’autres pays de l’UE soumis à des régulations plus strictes.
Vers une Europe socialo-mondialisée ?
Le projet d’Union des marchés de capitaux, associé à celui de l’Union bancaire, pourrait faire de l’Europe un terrain privilégié pour une économie globalisée et uniformisée, où les principes libéraux d’autonomie nationale s’effacent au profit d’une régulation centralisée. Cette orientation est préoccupante, notamment pour les tenants du libéralisme économique, qui y voient une porte ouverte vers une forme de socialisme mondialisé. Dans cette vision, l’Europe cesserait de fonctionner comme une union de nations autonomes pour devenir une entité quasi-fédérale, davantage alignée sur des principes collectivistes et socialisés.
Pour de nombreux observateurs, cette centralisation de la régulation bancaire et financière n’est pas qu’un simple ajustement technique, mais bien un choix idéologique. En mobilisant les épargnes et en imposant des régulations communes, Bruxelles pourrait capter une partie du capital privé, orientant les investissements selon des priorités stratégiques décidées au niveau supranational. Cette perspective inquiète la frange libérale de la classe politique européenne, qui estime qu’une telle ingérence dans la gestion de l’épargne privée et des choix d’investissement des individus porte atteinte aux libertés économiques fondamentales, restreignant progressivement l’autonomie des individus et des entreprises, et conduisant à un contrôle centralisé des décisions financières et patrimoniales au détriment de la liberté individuelle.
Maria Luis Albuquerque : vers une uniformisation fiscale
Maria Luís Albuquerque, ancienne ministre des Finances du Portugal, a exprimé lors de son audition l’intention d’imposer une supervision plus convergente en matière fiscale. Elle prône l’harmonisation des taxes et impôts sur les produits financiers, une mesure visant à éviter le dumping fiscal entre les États membres. Ce projet se heurte pourtant à des résistances. Le Luxembourg, acteur clé de la finance européenne, craint de perdre son attractivité auprès des investisseurs si les fiscalités s’alignent sur des standards européens plus restrictifs, comme ceux de la France ou de l’Italie.
En Irlande, autre bastion d’attractivité fiscale, la perspective d’une fiscalité harmonisée est également mal perçue. Avec une imposition faible sur les sociétés, le pays attire de nombreux sièges de multinationales, qui profitent des conditions avantageuses pour optimiser leurs profits. Un alignement fiscal européen représenterait une menace directe pour ce modèle économique.
Mais ces résistances nationales n’ont pas empêché le projet d’Union des marchés de capitaux d’avancer. Celui-ci vise à créer un marché unique de l’épargne et de l’investissement, où les capitaux circuleraient librement au sein de l’Union, réduisant les disparités économiques entre les États membres. Ce projet, souvent relégué au second plan dans les débats publics, pourrait violemment impacter la structure économique de l’Europe s’il voyait le jour.
La création de cette Union des marchés de capitaux, portée par Albuquerque, s’inscrit dans une volonté de mieux mobiliser l’épargne des Européens pour soutenir les entreprises locales et les projets d’infrastructures. Si cette union voit le jour, elle permettrait de canaliser l’épargne vers des investissements stratégiques décidés au niveau européen. Mais cette centralisation des ressources suscite une méfiance légitime de la part des acteurs économiques qui redoutent une perte de contrôle sur leurs actifs et un risque accru de confiscation, si l’Union décidait d’orienter ces fonds vers des secteurs ou des projets spécifiques.
L’entrée en fonction de Maria Luís Albuquerque ne se fait pas sans heurts. Plusieurs eurodéputés ont pointé du doigt son parcours professionnel, en particulier ses liens avec des sociétés d’investissement comme Arrow Global et Morgan Stanley, connues pour leur appétit pour les actifs en difficulté. Des voix critiques accusent Albuquerque de conflits d’intérêts, la soupçonnant de favoriser les intérêts privés au détriment de l’intérêt public.
De fait, la nomination d’une personnalité issue du secteur financier à un poste clé dans la régulation des marchés européens alimente la méfiance. Les critiques soulignent que son passage dans des entreprises profitant de rachats d’actifs en difficulté pourrait influencer ses décisions en tant que commissaire. Albuquerque a pourtant défendu son indépendance, assurant que ses postes en tant que directrice non exécutive chez Arrow Global et Morgan Stanley ne comportaient pas de conflits d’intérêts.
Une Europe libérale en déclin ?
Le débat autour du socialisme mondialisé de l’Europe renvoie à une question plus large sur l’avenir de l’Union. La montée en puissance de projets de convergence économique et fiscale pourrait, selon certains analystes, précipiter l’Union européenne dans un modèle de régulation centralisé, où les décisions individuelles et nationales sont de plus en plus limitées. Cette vision suscite des inquiétudes pour les défenseurs d’un modèle européen libéral et autonome, qui craignent que l’Europe devienne un espace soumis aux logiques de collectivisation des ressources et de mutualisation des risques, à l’opposé des valeurs de libre marché.
La question se pose donc : l’Europe peut-elle demeurer une union d’États autonomes tout en poursuivant des objectifs communs de convergence économique et sociale ? Si le projet de Maria Luís Albuquerque aboutit, l’Europe pourrait entrer dans une ère où les distinctions nationales s’effacent au profit d’une gouvernance centralisée, orientée vers des valeurs plus collectivistes.
Cependant, cette uniformisation pourrait avoir un effet inverse à celui escompté, provoquant des frictions entre les États membres et accentuant le scepticisme envers l’Union européenne. Les pays qui souhaitent conserver leur modèle fiscal et économique pourraient être tentés de reconsidérer leur adhésion à cette Europe socialisée, ouvrant la voie à une Union éclatée, où les intérêts nationaux reprennent le dessus. Face à ces deux visions, les européens doivent se mobiliser et peser dans le débat d’une une union toujours plus fédérale ou pour une coexistence d’États conservant leur souveraineté économique.
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