France : la souveraineté numérique en question

Publié le - Auteur Par Tony L. -
France : la souveraineté numérique en question

En France, l’ère numérique apporte avec elle des questions de plus en plus pressantes concernant la souveraineté du pays. À l’heure où la dépendance à la technologie est omniprésente, un constat se pose : nos données sensibles, qu’il s’agisse de la santé, de l’énergie ou encore de la cybersécurité des institutions, sont majoritairement gérées par des entreprises étrangères. Microsoft pour les données de santé, Amazon pour les informations nucléaires d’EDF, et plus récemment, un consortium canado-français pour la cybersécurité des ministères. Une situation qui inquiète légitimement les acteurs de la tech française et ceux qui prônent une souveraineté numérique totale pour l’Hexagone.

La gestion des données de santé confiée à Microsoft

En 2020, la France a pris la décision de confier l’hébergement du Health Data Hub (HDH) à Microsoft Azure. Ce portail rassemble les données de santé des Français pour des projets de recherche médicale. Le choix d’un géant américain pour une telle mission a suscité une vive controverse.

Les craintes portent principalement sur la législation américaine, notamment le Cloud Act, qui permet au gouvernement des États-Unis d’accéder aux données hébergées par une entreprise américaine, où qu’elles se trouvent dans le monde. Les détracteurs de cette décision, parmi lesquels des responsables politiques et des associations de défense des libertés, pointent un risque évident pour la confidentialité des données de santé des citoyens français.

En dépit de ces critiques, le gouvernement a maintenu son choix, arguant que l’expertise technologique de Microsoft, en particulier sur le traitement des données massives et la sécurité, était difficile à égaler.

Pourtant, la question reste entière : pourquoi la France n’a-t-elle pas fait appel à une solution souveraine, développée par une entreprise française ou européenne ? Cette décision pointe du doigt une dépendance technique et commerciale préoccupante, qui expose le pays à des influences étrangères. Dans la mesure où un acteur étranger pourrait prendre le contrôle d’une infrastructure stratégique comme le Health Data Hub, cela aurait des conséquences gravissimes pour des millions d’individus car leurs données de santé privées se retrouveraient potentiellement exposées.

 

Les données d’EDF dans les mains d’Amazon

Un autre exemple marquant de cette dépendance est la gestion partielle des données d’EDF, y compris celles liées au nucléaire, par Amazon Web Services (AWS). Le secteur énergétique, et en particulier l’industrie nucléaire, est considéré comme l’un des piliers de l’indépendance et de la souveraineté française. Pourtant, une partie des données critiques de ce secteur se retrouve stockée dans des serveurs contrôlés par une entreprise américaine. Là encore, le paradoxe est flagrant.

Comment une nation qui prône sa souveraineté énergétique depuis des décennies peut-elle accepter une telle délégation à un acteur étranger ?

Les partisans de cette solution soulignent qu’Amazon propose des infrastructures robustes, sécurisées et qui répondent aux exigences de performance. Néanmoins, les risques liés à l’accès aux données par des entités non françaises sont une source de préoccupation croissante. Dans un contexte géopolitique tendu, où la guerre économique fait rage et où les conflits géo-politiques se multiplient, cette situation semble être une brèche ouverte dans la muraille de la souveraineté nationale.

La cybersécurité des ministères sous contrôle étranger : la goutte de trop ?

Comme si cela ne suffisait pas, la situation s’aggrave davantage avec la récente annonce que la cybersécurité de tous les ministères français, à l’exception de celui des Armées, sera assurée par un partenariat canado-français. Cette décision a provoqué un tollé parmi les défenseurs de la sécurité et de l’indépendance numérique. Le fait que des informations aussi sensibles que celles gérées par les ministères puissent être entre les mains d’une entité étrangère est perçu par beaucoup comme un acte de dépossession.

Si ce partenariat inclut des entreprises françaises, la présence d’un acteur étranger dans une telle collaboration suscite des incompréhensions.

À une époque où les cyberattaques sont monnaies courantes et où la sécurité des informations d’État est vitale, ne pas opter pour une solution 100 % nationale en dit long sur les décideurs actuellement en place. Avec ces choix, comment garantir que des données stratégiques ne tombent pas entre de mauvaises mains, ou ne soient pas compromises par des intérêts extérieurs ?

 

La France face à son destin numérique

Le constat est là : la France semble progressivement perdre le contrôle de ses infrastructures numériques stratégiques. En confiant des missions stratégiques de la plus haute importance à des entreprises étrangères, le pays se place dans une situation de dépendance qui met en péril sa souveraineté et sa liberté d’action. Ce phénomène peut s’expliquer par une mondialisation effrénée où l’interdépendance devient la norme.

La crise sanitaire a révélé l’importance stratégique des données et des infrastructures numériques. Les États-Unis, la Chine et la Russie ont bien compris que la maîtrise des données est un levier de puissance. La France ne peut se permettre de rester spectatrice dans cette course, sous peine de devenir une simple vassale numérique.

Cependant, cette situation n’est pas une fatalité mais la question est désormais de savoir si la France est prête à investir massivement pour développer ses propres outils numériques et regagner ainsi son autonomie. Pour sortir de cette dépendance, plusieurs pistes peuvent être explorées.

  1. D’abord, renforcer le soutien à l’écosystème français de la tech. De nombreuses start-ups et entreprises innovantes ont le potentiel de proposer des solutions nationales, mais elles manquent souvent de soutien financier et institutionnel.
  2. Ensuite, il est fondamental de promouvoir nos propres normes et nos propres infrastructures afin de réduire la dépendance vis-à-vis des acteurs étrangers. La commande publique doit aussi jouer un rôle plus affirmé dans ce processus. En privilégiant des solutions locales pour des projets critiques, l’État peut stimuler l’innovation et la croissance des entreprises françaises. De plus, une meilleure coordination entre les États membres de l’Union européenne pourrait permettre de développer des alternatives crédibles aux GAFAM, à l’image de ce que fait déjà l’Allemagne avec Gaia-X.
  3. Enfin, il nous faut sans attendre éduquer ou rééduquer le grand public et les décideurs aux enjeux de la souveraineté numérique en expliquant que nos libertés en dépendent grandement. Trop souvent, les choix techniques sont faits sur la base de considérations financières à court terme initiées par de puissants lobbies, au détriment de la sécurité et de l’indépendance à long terme. Une prise de conscience collective est nécessaire pour opérer un changement durable.

Notre souveraineté numérique est bien plus qu’une simple question technologique : c’est un enjeu stratégique qui touche à l’indépendance même du pays. Le chemin pour y parvenir est complexe et demande des investissements considérables, mais il est indispensable. Face aux défis du XXIe siècle, la France doit regagner son autonomie dans le domaine numérique. Il en va non seulement de sa sécurité, mais aussi de son rôle sur la scène internationale. Les choix faits aujourd’hui détermineront la place du pays dans le monde de demain.

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Par Tony L.

Passionné de technologie, Tony vous propose des articles et des dossiers exclusifs dans lesquels il partage avec vous le fruit de ses réflexions et de ses investigations dans l'univers de la Blockchain, des Cryptos et de la Tech.

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