Circle, émetteur du fameux stablecoin USD Coin (USDC), vient d’obtenir une licence d’Institution de Monnaie Électronique (EMI) délivrée par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) en France, une branche de la Banque de France. Cette nouvelle fait suite à l’entrée en vigueur de la réglementation sur les actifs numériques des marchés en crypto-actifs (MiCA) en Europe, faisant de Circle le premier émetteur mondial de stablecoins à être conforme à cette nouvelle réglementation stricte.
Le rôle de Circle danse MiCA
Circle se positionne donc comme un acteur clé dans l’intégration des stablecoins conformes à MiCA sur le marché européen et choisit stratégiquement d’établir son siège réglementaire UE et MiCA en France pour émettre ses stablecoins. Cette stratégie pourrait également inciter d’autres émetteurs de stablecoins à suivre l’exemple de Circle, accélérant ainsi l’adoption de normes rigoureuses pour les actifs numériques.
La réglementation MiCA, approuvée par le Parlement européen en avril 2023, vise à créer une uniformité dans la réglementation des actifs cryptographiques parmi les membres de l’UE. MiCA impose des exigences strictes aux émetteurs de stablecoins, les obligeant à répondre à des normes élevées de transparence et de sécurité financière. Ces règles sont mises en œuvre progressivement, avec une conformité complète requise d’ici la fin de l’année 2024. Pour les stablecoins, certaines exigences ont pris effet dès le 30 juin 2023.
L’obtention de la licence EMI par Circle marque une reconnaissance officielle de sa conformité à MiCA, permettant à l’entreprise d’émettre les stablecoins USDC (dollar américain) et EURC (euro) en tant qu’instruments financiers régulés au sein de l’UE. Jeremy Allaire, co-fondateur et PDG de Circle, a souligné que cette réalisation est un pas décisif vers l’intégration des monnaies numériques dans l’économie mondiale, tout en respectant les cadres réglementaires les plus rigoureux.
L’approche de MiCA concernant les stablecoins a été influencée par les préoccupations liées à l’entrée des grandes entreprises technologiques sur les marchés financiers, telles que le projet Diem de Meta (anciennement Libra). Cela a engendré cinq années de réflexion dans le milieu politique en Europe, comme l’a souligné Dante Disparte, Directeur de la stratégie chez Circle, qui avait précédemment participé à l’initiative Libra :
« Personnellement, je ressens une relation un peu semi-parentale avec MiCA car, à certains égards, elle a été accélérée par ma vie passée et mon projet antérieur, Libra Diem », a déclaré Disparate dans une interview. “MiCA défend à la fois l’industrie et sa pérennité, mais il est également clair qu’il n’y a plus de raccourcis, du moins pas dans la troisième économie mondiale. Il est révolu le temps où l’on pouvait opérer dans un paradis réglementaire ou dans l’ombre et espérer ensuite avoir un accès libéral et libre aux consommateurs et aux acteurs du marché.”
Obligations réglementaires
L’un des aspects majeurs de la conformité à MiCA est l’obligation pour les grands émetteurs de stablecoins de détenir 60% de leurs réserves en comptes bancaires, une mesure destinée à renforcer la stabilité financière mais qui pourrait réduire les rendements, car les comptes bancaires offrent généralement des intérêts moins élevés que les titres du Trésor. Patrick Hansen de Circle a confirmé que l’EURC sera entièrement émis par Circle France, avec toutes les réserves détenues en conformité avec les normes MiCA, tandis que l’USDC sera simplement frappé par Circle France.
Cette nouvelle réglementation impose également des limites sur les volumes de transactions pour les stablecoins non libellés en euros afin de protéger la souveraineté monétaire de l’UE. Par exemple, un stablecoin en dollars ne peut pas dépasser une moyenne de 200 millions d’euros de volume quotidien de transactions ou plus d’un million de transactions. Ces limites visent principalement les paiements quotidiens aux commerçants, et non les transactions d’investissement général, ce qui pourrait modifier la dynamique du marché pour les utilisateurs et les émetteurs de stablecoins.
Échanges crypto et utilisateurs européens
Avec l’entrée en vigueur des réglementations MiCA, les bourses de crypto-monnaies opérant au sein de l’UE ont commencé à prendre des mesures pour se conformer à cette nouvelle législation. Plusieurs échanges, dont Binance, Kraken, et OKX, ont déjà commencé à retirer de leurs plateformes certains stablecoins non conformes à MiCA, tels que le Tether (USDT). Bitstamp prévoit également de retirer le Tether en euros (EURT). Ces mesures pourraient pousser les émetteurs non conformes à MiCA à quitter complètement le marché européen, augmentant ainsi la demande pour des stablecoins conformes comme l’EURC de Circle.
Richard Teng, PDG de Binance, a clarifié que Binance ne retirera pas les stablecoins non autorisés du trading au comptant, mais limitera leur disponibilité pour les utilisateurs européens sur certains produits. Cela laisse entendre que les stablecoins conformes à MiCA, comme l’USDC de Circle, auront un rôle prépondérant sur les plateformes de trading européennes.
Et il n’est pas impossible que l’USDT de Tether soit un jour interdit dans l’Union européenne en raison des nouvelles régulations imposées par MiCA. Tether, l’un des stablecoins les plus utilisés au monde, pourrait ne pas satisfaire aux exigences strictes de transparence et de réserves imposées par MiCA. Les régulateurs européens pourraient alors très bien décider de bannir l’USDT si Tether ne parvient pas à prouver que chaque jeton est pleinement soutenu par des réserves adéquates et vérifiables. Une telle interdiction aurait des répercussions énoprmes sur le marché des cryptomonnaies en Europe, perturbant les activités de trading et de financement décentralisé (DeFi) qui reposent fortement sur l’USDT pour la liquidité et la stabilité.
Les cloches dissonantes
Cependant, tout n’est pas si rose. Certains émetteurs de stablecoins ont exprimé des inquiétudes quant aux exigences de MiCA. Paolo Ardoino, PDG de Tether, a déclaré que certaines exigences pourraient rendre le travail des émetteurs de stablecoins extrêmement complexe et les rendre plus vulnérables et risqués à opérer.
MiCA vise à fournir un cadre réglementaire complet pour les crypto-monnaies, y compris pour les stablecoins. Mais bien que cette initiative vise à garantir la stabilité du marché et à protéger les consommateurs, elle pourrait en fait ralentir le marché des cryptomonnaies et entraver son adoption. L’une des principales préoccupations concerne l’augmentation des coûts de conformité associés à MiCA. La réglementation impose des exigences strictes aux émetteurs de stablecoins, telles que des exigences de capital, la gestion des réserves et des audits réguliers. Se conformer à ces réglementations peut s’avérer coûteux, en particulier pour les petits acteurs du marché. De plus, la nécessité d’une documentation détaillée, de rapports et de contrôles de conformité continus crée des frais administratifs importants pour les entreprises, détournant les ressources de l’innovation et du développement.
Un autre problème engendré par MiCA est la création d’énormes barrières à l’entrée. Les processus de licence complexes et la nécessité de respecter les normes réglementaires peuvent dissuader les projets nouveaux et innovants, réduisant ainsi la concurrence et étouffant l’innovation dans l’espace stablecoin. Les petites entreprises et les startups peuvent avoir du mal à répondre à ces exigences réglementaires, ce qui conduit à une concentration du pouvoir entre des entités plus grandes et bien établies. La rigidité de ce cadre réglementaire pourrait limiter la capacité des émetteurs de stablecoins à innover. Les ressources qui pourraient être allouées à la recherche et au développement sont plutôt canalisées vers les efforts de conformité, ralentissant ainsi le rythme des progrès technologiques. En outre, la crainte d’éventuelles modifications réglementaires et sanctions pourrait dissuader de nouveaux projets et idées innovantes d’entrer sur le marché, contribuant ainsi à une réduction globale de l’innovation.
L’incertitude du marché joue également un rôle important dans le ralentissement potentiel du marché des cryptomonnaies. La nature évolutive du paysage réglementaire peut créer un environnement d’incertitude, incitant les acteurs du marché à adopter une approche attentiste. Cette prudence peut conduire à une réduction des activités d’investissement et de développement jusqu’à ce que l’environnement réglementaire devienne plus clair et plus prévisible. Le potentiel de contestations juridiques et la nécessité de s’adapter constamment aux nouvelles exigences réglementaires ajoutent à cette incertitude, décourageant une expansion et une expérimentation rapides.
La compétitivité mondiale est également en jeu. Des réglementations trop strictes en Europe pourraient pousser les entreprises à se délocaliser vers des juridictions dotées d’un environnement réglementaire plus favorable, réduisant ainsi la compétitivité de l’Europe sur le marché mondial des cryptomonnaies. Les investisseurs pourraient préférer les régions dotées de cadres réglementaires plus favorables, ce qui pourrait entraîner une fuite potentielle de capitaux et de talents de l’Europe vers d’autres régions du monde. En outre, les entreprises opérant dans plusieurs juridictions peuvent avoir du mal à harmoniser leurs opérations pour se conformer à la MiCA tout en adhérant aux réglementations d’autres régions, ce qui entraîne des inefficacités opérationnelles et une augmentation des coûts.