INTERVIEW. L’économie française vacille entre inflation et récession. Possible baisse de notre notation, tensions économiques, immobilières et sociales, chômage… Que pourrait-il bien se passer à la rentrée 2023 ? Prévisions de Marc Touati, économiste, président du cabinet ACDEFI et auteur de 8 bestsellers économiques.
Depuis plus d’un an, le pouvoir d’achat des Français est mis à mal. Entre inflation et récession, l’économie française chancelle. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, s’est toutefois réjoui du ralentissement de la hausse des prix à la consommation : « L’inflation ralentit, et elle ralentit même fortement », a-t-il déclaré au micro de France Inter. Effet d’annonce, méthode Coué ou erreur de calcul, les Français n’ont pas ce ressenti en fin de mois.
Cependant, en effet, « c’est la bonne nouvelle statistique des dernières semaines : l’inflation est en train de reculer », nous affirme Marc Touati, économiste, président du cabinet ACDEFI et auteur de 8 bestsellers économique. Elle s’est établie à 5,1% sur un an, après avoir atteint 6,3% en février, d’après les estimations de l’Insee, publiées le 15 juin dernier. Sur un mois, « les prix à la consommation se replient légèrement (‑0,1 %) », pointe l’institut.
À quoi est dû ce recul de l’inflation ? Est-ce annonciateur de bonnes nouvelles ou le signe d’une crise économique profonde ? Consommation, investissement, chômage, immobilier… Ce phénomène soulève plusieurs questions auxquelles Marc Touati apporte des réponses.
Crise économique : une baisse de l’inflation, mais pas des prix !
« Ce mouvement de baisse de l’inflation, que l’on appelle « désinflation » a débuté aux États-Unis et commence à arriver dans la Zone Euro et en France. Attention cependant, il s’agit d’une baisse de l’inflation (c’est-à-dire de l’augmentation annuelle des prix), mais pas d’une chute des prix », prévient l’expert. Ceci explique, le ressenti des ménages.
Crise économique : les prix continuent d’augmenter
Au grand désarroi des consommateurs, « les prix continuent d’augmenter, notamment dans l’alimentaire », pointe l’économiste, qui réalise des chroniques vidéos sur sa chaîne YouTube @MarcTouatiTV.
Les produits alimentaires qui ont le plus augmenté
« Voici quelques exemples, parmi les plus forts rythmes d’inflation en mai 2023 », détaille-t-il.
- Le sucre : il décroche la palme de l’inflation la plus élevée, avec un niveau de 49,1 %
- Les produits laitiers : 25,1 %
- Les chips : 24,8 %
- Les légumes frais : 22 %
Nous rajoutons les produits animaliers, en hausse de 30 à 46%, ce qui cause de lourds problèmes aux propriétaires d’animaux …
Inflation : « En un an et demi, les prix ont autant augmenté qu’en 22 ans ! »
« Le drame est que ces niveaux d’inflation dans l’alimentaire sont historiques en France », déplore l’auteur de RESET II – Bienvenue dans le monde d’après, en tête des ventes des essais économiques sur Amazon depuis sa sortie le 1er septembre 2022.
« Quelques chiffres valent mieux que de longs discours. Prenons à titre d’illustration l’évolution des prix de la catégorie « Lait, Fromage et œufs » : + 26,5 % de janvier 2022 à mai 2023, soit la même augmentation que de mars 2000 à décembre 2021 ! Oui, vous ne rêvez pas : en un an et demi, les prix ont autant augmenté qu’en 22 ans et quasiment autant qu’en 32 ans ! Voilà pourquoi les Français se sentent appauvris.
Et cela va malheureusement durer, même si une baisse corrective des prix est inévitable.
Crise économique : doit-on craindre une récession et une baisse de notation financière ?
Choc des prix, augmentation des taux d’intérêt qui pénalisent l’investissement, dette publique… Les mois à venir s’annoncent-ils difficiles ?
La France menacée de récession
« C’est triste à dire, mais après l’Allemagne et l’ensemble de la Zone Euro, qui sont déjà retombées en récession depuis le quatrième trimestre 2022, c’est maintenant la France qui est menacée du même sort… », se désole Marc Touati.
Que cela signifie-t-il précisément ? « Il s’agit d’une baisse de la richesse créée par un pays, ce que l’on appelle le PIB (Produit Intérieur Brut) et ce, pendant au moins deux trimestres consécutifs. C’est donc exactement ce qui vient de se passer en Allemagne et dans l’ensemble de la Zone Euro », explique l’expert.
Il rappelle qu’en France, les récessions sont rares : « Il n’y en a eu que 4 depuis les années 1970 : en 1974-75, en 1993, en 2008-2009 et bien sûr pendant la première vague de la pandémie en 2019-2020. »
Mais, une nouvelle récession française est bel et bien en marche.
« Elle aurait d’ailleurs déjà dû revenir dès l’année dernière à cause de la forte inflation, mais grâce à la nouvelle version du « quoi qu’il en coûte », la récession a été évitée de justesse », pointe-t-il. « Et, ce, à coup de milliards d’euros de dette publique supplémentaire.
En 3 ans, la dette publique a augmenté de 580 milliards d’euros. C’était donc facile d’éviter la récession à coup de chèques. »
Crise économique : la richesse française est en train de baisser
« Malgré cette gabegie de dépenses publiques, le PIB français n’a augmenté que de 198 milliards d’euros (inflation comprise) sur cette même période », alerte Marc Touati.
« Rendez-vous compte : l’État a mis 580 milliards d’euros de dette publique pour ne récupérer que 198 milliards d’euros de création de richesse.
Houston, on a un problème… 💣
Et le pire, c’est qu’aujourd’hui cette richesse est en train de baisser : Eh oui, on ne peut éviter l’inévitable ! », assure-t-il.
Les chiffres qui viennent de sortir sont d’ailleurs sans appel. « En juin, les indicateurs avancés de la conjoncture sont tous passés en zone de récession : dans l’industrie, la construction et même les services !
Tout est en train de baisser : la consommation, l’investissement logement, et bientôt l’investissement des entreprises… On le voit d’ailleurs dans les chiffres de la Banque de France relatifs aux défaillances d’entreprises en France : ça explose ! Par exemple pour les petites entreprises (de 10 à 100 salariés) : + 91 % sur un an et + 55 % par rapport à 2019 », énumère l’expert.
Quant à la note financière de la France, elle pourrait se dégrader.
Elle est mesurée par des entreprises privées, qui ont pour rôle de mesurer le risque de non-remboursement des dettes contractées par un émetteur (entreprises ou États). Elles attribuent généralement des notes allant du triple A (AAA étant la meilleure note) à D. Fitch, qui est avec Standard & Poor’s et Moody’s, l’une des trois principales agences de notation opérant à l’échelle internationale, a déjà décidé, fin avril dernier, de dégrader la notation de la France d’un cran.
Elle passe ainsi de AA à AA-, tout comme la Belgique, au Royaume-Uni ou encore à l’Estonie. Parmi les critères d’évaluation censés impacter la solvabilité d’un émetteur, nous retrouvons, entre autres :
- Les perspectives de croissance économique et d’évolution des dépenses publiques
- La capacité à lever des impôts,
- La stabilité politique.
En outre, quelles seront les conséquences pour les Français avec le retour de la récession ?
Crise économique, récession, déflation : le choix entre la peste et le choléra ?
Selon l’expert, l’avenir économique ne s’annonce pas très joyeux.
Baisse de l’activité économique : « Un cercle pernicieux »
Malheureusement, les résultantes d’une récession « ne seront pas très joyeuses : moins d’activité économique, cela veut dire des faillites d’entreprises qui vont encore augmenter, donc ensuite, des destructions d’emplois, donc moins de revenus, moins de consommation, donc moins d’activité… et le cercle pernicieux continue », déplore-t-il.
Et ce n’est pas tout !
Car, « si l’activité baisse et que le chômage augmente, cela veut aussi dire plus de déficits publics, donc plus dettes publiques et ensuite, une nouvelle vague d’augmentation des taux d’intérêt des dettes publiques et de fait, des crédits. Or, si les crédits sont plus chers, cela veut dire moins d’investissement, moins de consommation, donc plus de récession et la ‘machine infernale’ continue… », alerte-t-il.
Une bonne nouvelle cependant est à venir : « La baisse des prix, car sans consommation, les prix vont finir par baisser. Et là, attention, car on pourrait passer d’une forte inflation à une phase de déflation (baisse des prix) : donc après la peste, le choléra », ajoute-t-il.
Et de notifier : « Malheureusement, comme le gouvernement et la BCE ont déjà utilisé toutes leurs cartouches pour relancer l’activité économique, ils ne pourront désormais plus faire grand-chose… Bonne chance ! »
La tempête actuelle pourrait-elle s’étendre à l’immobilier ?
Gare à la crise immobilière à venir
« Après plusieurs mois de tergiversations et de déni de réalité, plus personne n’ose désormais affirmer que la crise immobilière française est une vue de l’esprit. Et pour cause : que ce soit les agences immobilières, les notaires, les fédérations du bâtiment ou encore l’INSEE, la sanction est unanime : les prix baissent partout. Et ce, non seulement dans l’ancien, mais aussi dans le neuf. Les turbulences de ce dernier constituent d’ailleurs une nouvelle étape dans la tempête actuelle qui est bien en train de se généraliser », analyse l’économiste.
Selon lui, les raisons de cette crise généralisée sont multiples :
- Correction de la bulle passée,
- Hausse des taux d’intérêt,
- Baisse du pouvoir d’achat,
- Augmentation du coût de la construction,
- Explosion de la taxe foncière et des impôts en tous genres sur l’immobilier,
- Nouvelles normes écologiques…
« Dans la mesure où ces facteurs négatifs sont appelés à se prolonger, il est clair que la tempête durera au moins deux ans », juge-t-il.
Les prévisions immobilières de Marc Touati
« Au total, 4 prévisions peuvent être établies pour les prochains trimestres :
- Les taux d’intérêt et les conditions des crédits immobiliers au sens large vont encore se tendre.
- Les transactions immobilières vont chuter d’au moins 15 % (selon la FNAIM).
- Les prix de l’immobilier ancien vont encore reculer de 10 % à 15 % en moyenne sur l’ensemble de la France.
- Après le dégonflement de la bulle, l’immobilier repartira sur des bases plus saines. Il restera donc l’un des investissements les plus rentables sur le long terme, avec les actions (dividendes compris) et l’or. »